Textes de l'exposition

Si la banlieue m’était chantée (chanson et société en Val-de-Marne, XIXe-XXIe siècle) [Texte de l’exposition 10 janvier 2020]

Le cœur à la chanson

Du côté de Charenton

Le cœur en nostalgie

Près de Paris

 

Francis Lemarque

 

 

D’Ivry-sur-Seine à Saint-Maur-des-Fossés, de Champigny-sur-Marne à Villeneuve-Saint-Georges, de Nogent-sur-Marne à Villejuif, l’histoire du Val-de-Marne  se conjugue en chansons. Un art populaire pour une banlieue populaire… et dont bon nombre d’artistes ou de créations sont passés à la postérité.

Une histoire faite de lieux emblématiques (guinguettes des bords de Marne, théâtres, Maisons des jeunes et le la culture), de figures marquantes (de Francis Lemarque à Allain Leprest, en passant par Yvette Horner ou Francesca Solleville), ou bien encore d’images, souvent d’Épinal comme « Le petit vin blanc de Nogent ».

Une histoire sensible, surtout, qui nous entraîne à travers deux siècles de convivialité, de drames et d’espoir. Le voyage commence avec l’apparition des premières goguettes, pour se poursuivre tout au long des XIXe et XXe siècles avec leurs évolutions (sociales, politiques), leurs heures sombres (deux guerres mondiales suivies de guerres coloniales), mais aussi leurs victoires et leurs fêtes (du Front populaire aux occupations d’usines en Mai 68). Mais, peut-être plus qu’ailleurs, le Val-de-Marne les aura traversés en chansons, laissant un patrimoine musical populaire extrêmement riche.

Cette exposition, donne à voir, à lire et à entendre les chansons val-de-marnaise comme autant de témoins des évolutions sociales et sociétales d’un territoire singulier : celui de la banlieue sud-est.

Elle puise sa source dans les biographies du Maitron, dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier, mouvement social où les auteurs, compositeurs et interprètes ont toujours eu place.

 

La chanson sociale du XIXe siècle

 

 

De la goguette à la guinguette, de Paris à la banlieue

La chanson populaire – telle que nous l’entendons aujourd’hui – trouve ses fondements dans le premier XIXe siècle. Et sa figure tutélaire est sans aucun doute Pierre-Jean Béranger (1780-1857), considéré à bien des égards comme le premier chansonnier du pays.

Sous la Restauration (1815-1830), et tout au long du premier XIXe siècle, des sociétés chantantes – les « goguettes » – voient le jour dans la capitale. Populaires sans être exclusivement ouvrières, elles accueillent leurs membres par cooptation et s’affirment comme des lieux de sociabilité éminemment politiques, le plus souvent en faveur de l’opposition démocratique au pouvoir monarchique qui tente de les museler. Dans les années 1860, Jean-Baptiste Clément, terrassier au viaduc de Nogent-sur-Marne, futur auteur du Temps des cerises y chante une chanson enfantine, mais sociale, de son cru~: Dansons la capucine.

La seconde moitié du XIXe siècle voit ces goguettes tomber en désuétude – quand elles n’ont pas été contraintes à la disparition par les autorités politiques. Commence alors l’essor des guinguettes qui, au plus fort de la Révolution industrielle, s’affirment comme des lieux incontournables du loisir des ouvriers et des employés. Elles peuplent le paysage parisien à partir des années 1860, principalement dans les quartiers de l’Est et du Nord (Montmartre, Belleville) mais également la banlieue, et les bords de Marne. Nogent-sur-Marne en sera la principale incarnation, constituant un « mythe romantique » dont on trouve trace dès 1865 sous la plume d’un journaliste parisien, pour qui « rien ne saurait lui enlever son véritable caractère, qui est d’offrir les plus riantes retraites aux Parisiens, las des affaires et du bruit ». Moins politique que volontairement champêtre, la chanson de guinguette devient en elle-même une carte postale.

Daumier, La goguette des joyeux, à Belleville, en 1844.

La Ruche populaire : la goguette, un lieu de convivialité.

Les goguettes du premier XIXe ne sont pas uniquement des lieux de convivialité, des espaces dédiés au chant et aux temps de récréation ouvrière, elles témoignent d'aspirations populaires. Celle de La Ruche populaire, sise à Saint-Maur-des-Fossés, est dirigée par Jules Vinçard (né en 1796 à Paris, mort en 1882 à Saint-Maur-des-Fossés.), un chansonnier acquis aux idées du précurseur du socialisme, Claude Saint-Simon,

 

Le XIXe siècle voit l’essor de l’imprimé et de la presse, la Ruche se dote d’un journal du même nom qui, de 1838 à 1849, publie les poèmes et les chants des ouvriers-poètes. Sous-titré « journal des ouvriers, rédigé et publié par eux-mêmes », il s’affirme, sous la plume de Vinçard, comme un outil d’éducation populaire : « Notre but aussi, c’est d’abord, et surtout, de nous procurer, à nous ouvriers, non pas une tribune pour ergoter et faire entendre des paroles de haine et de malédiction, mais une école mutuelle pour l’amélioration de notre intelligence et l’instruction à acquérir pour la direction de notre travail ».

 

Chanson libertaire , socialiste et révolutionnaire de la Belle Époque.

Période d’intense essor du syndicalisme révolutionnaire, qualifiée par l’historien Jean Maitron d’« âge d’or » de l’anarchisme, mais aussi de montée du socialisme, la Belle Époque est aussi le cadre d’une incroyable profusion de chants populaires, aux accents bien souvent insurrectionnels.

Avec l’essor des goguettes et la dimension festive du chant, nombreux sont les militants libertaires qui y voient un moyen de populariser leurs idées. Les journaux anarchistes en publient et des partitions sont distribuées. Les « soirées familiales » deviennent le cadre de récitals souvent militants. Et, à l’instar de leurs prédécesseurs saint-simoniens, blanquistes ou socialistes, les anarchistes investissent la guinguette, à Paris et en banlieue, notamment dans le cadre du groupe de poètes et chansonniers La Muse rouge.

Tous les thèmes des revendications sociales rencontrent leur écho en chanson. L’antimilitarisme (« Guerre à la guerre », Robert Guérard), le contrôle des naissances (« Procréation consciente » de Charles d’Avray), ou encore l’évocation des luttes et de la répression par Montéhus («Gloire au 17e»). La version initiale du « Drapeau rouge » se faisait l’écho du « guet ’apens de Villeneuve-Saint-Georges » répression d'une grève qui fit huit morts en 1908. Son auteur, le médecin socialiste Paul Brousse (1844-1912) laissa son nom à un hôpital de Villejuif.

 

Même la campagne est touchée par le chant revendicatif. Georges Maussang dit Maussa , ancien conseiller municipal d'Ivry-sur-Seine, écrit en juillet 1907 "La grève en Brie" première grève des ouvriers agricoles de la Brie, plateau à cheval sur le Val-de-Marne et la Seine-et-Marne~: "L'éveil des forçats de la terre Est tout plein de promesse"

 

 

La Belle Équipe en bords de Marne

 

Quand on s' promène au bord de l'eau.

 

Dans les années 1920-1930, avec la volonté de vivre de l’après Première Guerre mondiale, s’affirme une image fraternelle et lumineuse des bords de Marne et de Seine. Les textes évoquant Paris et ses faubourgs suggèrent la misère, le malheur. L'Est parisien, opposé à l'Ouest parisien bourgeois, apparaît comme un lieu escapade à peu de frais. La jeunesse rêve de paix et de conquérir la fierté du travail après la crise économique du début des années trente. Elle regarde «~Le Chaland qui passe~» et participe à « La Belle équipe », film dans lequel Jean Gabin chante "Quand on s' promène au bord de l'eau, Comm' tout est beau.. . Quel renouveau". On fredonne « À la Varenne », on écoute à Saint-Mandé le « Concert montmartrois tout en vivant intensément le grand moment social et politique du Front populaire de 1936. Le monde ouvrier prend confiance en lui, l’image du métallo musclé et sensible aimant le sport, l’aviation (club des Aiglons d’Ivry), la musique, s’impose. Gabin en est au cinéma l’expression ; Arletty représente quant à elle la travailleuse parisienne gouailleuse.

La guerre d’Espagne provoque espoirs et inquiétudes. La victoire du camp franquiste fait refluer en France des républicains espagnols qui rejoignent les Italiens ayant fuient le fascisme. Ils apportent leurs musiques qui viennent se mêler aux valses et aux chansonnettes à refrain des bords de Marne.

 

« Viens à Nogent »

 

 

 

 

"Viens à Nogent !" C’est une invitation à laquelle on ne peut résister dès les années 1880. Cette attirance marque durablement cette cité festive. Annie Cordy la chante avec nostalgie en 1954. La chanson, la musique, la peinture exaltent les moments privilégiés au bord de l’eau, la beauté de la nature, celle des corps forgés par les sports nautiques (natation, aviron) et la danse. Les chansons parlent de jeunesse, d’amour et aussi de paix, d’aspiration à une nouvelle sociabilité populaire dynamisée par l'Harmonie municipale, La Lyre Garibaldienne.

La commune de Nogent-sur-Marne est marquée par la présence dès les années 1920 des Italiens, notamment des maçons qui contribuent à la construction des pavillons et belles villas, tout en popularisant l'accordéon. Les musiciens et chanteurs y exercent leurs talents dans les guinguettes au son de la musette. « Ça s’est passé un dimanche au bord de l’eau" après un tour en barque. Elle inspire le chanteur à succès Jean Sablon qui avec sa soeur, la chanteuse Germaine Sablon habitent la ville, ainsi que Charles Trenet qui évoque "Les braves gens de La Varenne et Nogent".

 

Au confluent de la Marne et de la Seine

 

Même refrain de chanson populaire à Joinville-le-Pont ("A Joinville-le-Pont Pon Pon, tous deux nous irons") et à Maisons-Alfort, en chantant et dansant, avant la Première Guerre mondiale et après.

La musique a parfois de la solennité. Ainsi l'artiste lyrique de l'Opéra comique, Marthe Chenal (dont la famille habite Maisons-Alfort) chante la Marseillaise devant le monument aux morts du cimetière de Maisons-Alfort le 1er novembre 1916, avant de l'interpréter magistralement le jour de l'Armistice (11 novembre 1918) au balcon de l'Hôtel-de-Ville de Paris.

La Paix assurée, le nouveau quartier de lotissement de Charentonneau se couvre de restaurants-bals où nous dit le rébut du bal "Des 4 Nations", on "danse à l'oeil". À Charenton, entre Seine, Marne le cabaret l'Ermitage pousse la rengaine : Au Pont de Charenton, "Le diabolo menthe à dix francs. Pour pas un rond l'odeur des blondes".

Est-c e cette ambiance musicale qui donne envie à Robert Brécy, un temps employé municipal à Maisons-Alfort de se faire, dans les années soixante, l'historien de la chanson populaire avec ses grand s livres : Le Florilège de la chanson révolutionnaire , La Chanson de la Commune et Autour de La Muse rouge ?

 Dans les heures sombres

 

En juin 1940, les troupes allemandes marchent sur Paris, et le Val-de-Marne, à l’instar de l’ensemble de la zone Nord, est occupé. Le régime de Vichy, dirigé par le maréchal Pétain, instaure une politique de collaboration qui durera jusqu’en 1944. Dans ce contexte, la chanson n’échappe pas aux heures sombres de l’histoire du pays. Et elle aussi va se scinder entre ceux qui choisissent la voie de la collaboration – ou qui taisent l’horreur – et ceux qui optent pour le choix de la Résistance, parfois par la propagande et par les armes.

Une chanson de 1943 pourrait symboliser la volonté de survivre en pleine guerre, une chanson passée à la postérité et qui a une place de choix dans le Panthéon des chansons célébrant l’« art de vivre » à la française. Œuvre de Jean Dréjac, elle est sans nul doute l’une des plus célèbres du département : « Ah ! Le petit vin blanc ». Elle fera pour longtemps la renommée des guinguettes de Nogent-sur-Marne. Après-guerre, son air de fête et son optimisme en période d'Occupation seront parfois reprochés à son auteur.

Mais dans le même temps, le Val-de-Marne est aussi le théâtre des combats de la Résistance. Ainsi Charles Trenet perd sa mère déportée, Sylvain Lafforgue, frère du chansonnier René-Louis Lafforgue, meurt au combat à Cachan, le 21 août 1944, marquant profondément l’œuvre de son cadet. Ou encore du Saint-Mauricien Nathan Korb (qui n’est pas encore appelé Francis Lemarque) et qui s’engage dans la Résistance puis dans le maquis tandis que sa mère est déportée.

 

Chanter la liberté

 

  • Dans l’immédiat après-guerre, et jusqu’aux années 1960, la chanson se conjugue entre liberté retrouvée et volonté de ne pas occulter les heures sombres de l’histoire récente.
  • À l’instar d’Yves Montand et de son « Moi, je m’en fous », la nonchalance et la joie de vivre tentent de palier un passé traumatique. Une volonté à laquelle s’ajoute le désir d’œuvrer à la reconciiation et à l’unité nationale. Aussi Jean Dériac, un temps décrié, s’affiche-t-il à la Fête de l’Humanité, tandis que son « Ah le petit vin blanc » continue de faire danser et de symboliser à lui seul ou presque l’art de vivre à la nogentaise. Nombreux sont les artistes à s’emparer d’une chanson désormais érigée en hymne.
  • Mais dans le même temps, le souvenir de la guerre, de la répression et de la déportation reste vif, et nombre d’artistes se font l’écho d’une mémoire aussi douloureuse qu’indispensable. Ainsi, tandis que Maurice Fanon chante « La petite juive » – ennemie déclarée du nazisme et du régime de Vichy –, l’Ivryen Jean Ferrat donne à entendre, en 1963, un chant bouleversant, « Nuit et brouillard », qui rappelle avec forte émotion l’horreur de la déportation et des camps. Un souvenir qui l’engage de tout son être, lui qui a perdu son père raflé.

 

  • Chanson rive gauche
  • Comme son nom l’indique, la chanson poétique et à texte est d’abord parisienne et c’est sur la Rive-Gauche de la Seine que se multiplient les cabarets qui donnent leur chance à de jeunes interprètes et auteurs-compositeurs. Leur inspiration puise ses racines dans l’expression musicale et théâtrale du Front populaire, avec notamment le groupe Octobre qui avait participé aux fêtes municipales de Villejuif. Les poèmes d’Aragon, Éluard et Prévert enrichissent leurs répertoires. La qualité musicale d’un Charles Trenet (habitant de La Varenne et de Nogent) donne un tempo jazz à la chanson. Pendant que celui-ci chante « L’âme du poète » en 1951, un hommage à l’écrivain Max Jacob mort en déportation, Georges Brassens crée une œuvre de grande qualité qu’il vient offrir dans une belle soirée sous le chapiteau des Tréteaux de France à Maisons-Alfort en 1964. Quant à Yves Montand, il interprète notamment des chansons du Saint-maurien Francis Lemarque touchant un vaste public.
  •  Chanson sociale et de contestation
  • Période intense de revendications sociales et de combats pour l’émancipation, les années 1960 trouvent écho dans les créations artistiques. Et le tout jeune Val-de-Marne, créé en 1964, est aux avant-postes. Car le département est aussi, alors, une grande banlieue ouvrière, qui inspire à Jean Ferrat, alors Ivryen, sa célèbre « Ma môme » (1961), qui « travaille en usine… à Créteil ». Une autre Ivryenne, Francesca Solleville, sublime quant à elle, quatre ans plus tard, son « Métallo ».
  • Mais plus encore que la fierté ouvrière, la même Francesca Solleville se fait l’écho, dans cette décennie qui voit naître sa renommée, des solidarités internationales et de l’antifascisme, que ce soit pour dénoncer le régime de Franco (« Je n’irai pas en Espagne », 1966) ou la dictature militaire mexicaine (« 200 mètres Mexico », 1969).

 

Les années 1960 ou le règne du « yé yé »

Au début des années 1960 s'affirment simultanément les débuts de la chanson rock et la chanson contestataire. La puissance démographique de la génération du baby-boom d’après-guerre, la fascination de la musique anglo-saxonne font de la guitare électrique un instrument emblématique de la jeunesse . Les groupes se multiplient dans les nouveaux « grands ensembles ». Certains connaissent le succès commercial comme les pionniers du rock français, deux groupes de Créteil, en 1961, « Les Chaussettes noires » d'Eddy Mitchell au Mont-Mesly (Créteil) et "Les Vautours", d’autres se baptisent d’un nom anglais comme les « Guitar brothers », éphémère groupe de jeunes scolarisés à Créteil. Dans chaque ville du Val-de-Marne naissant une nébuleuse de petits groupes reprennent les standards du rock américain en y ajoutant des paroles qui parlent d’amour, de flirt et de danse. Sheila qui vendait des bonbons sur le marché de Maisons-Alfort annonce que "L'école est finie".

 

De la guerre d'Algérie à Mai 68

 

Si la vague yé-yé emporte avec elle la chanson « Rive-Gauche » des années 1950, dans le même temps s'affirme progressivement une jeunesse contestataire, antiraciste, anti-impérialiste qui annonce 1968.

La solidarité internationale revêt plusieurs formes, dont l’antimilitarisme pour dénoncer les guerres impérialistes (Colette Magny « Vietnam 67 », en 1969, toujours, Solleville chante « Viet Nam ») ou pour dénoncer les guerres coloniales que mène encore la France. Aussi, dans « Paris-Cayenne », Maurice Fanon évoque la répression qui touche, notamment, les déserteurs et les porteurs de valises en faveur des indépendantistes algériens, évoquant au passage une prison tristement emblématique du Val-de-Marne : « On dit qu'à Fresnes le chiendent voisine avec la fleur des champs. »

  • Luttes difficiles, chants terribles… mais aussi luttes victorieuses et fêtes de solidarité. Mai 68 a de fortes répercussions dans un Val-de-Marne profondément ouvrier. À Orly, Francesca Solleville vient chanter pour les grévistes. À Vitry-sur-Seine, une caisse de solidarité pour les ouvriers des principales entreprises en grève (EDF, Marquin-Muguet, Sciaky, Rhône-Poulenc), organise des spectacles, mêlant la danse à la musique et la chanson .
  • Évoquant un printemps ouvrier auquel il n’a pas pris directement part, le Saint-Mauricien Francis Lemarque déclare, bien des années plus tard : « Les événements de mai 1968 m’ont pris au dépourvu. Je n’aurais jamais imaginé de tels bouleversements. Tout a été remis en question, notre façon de vivre, de penser. »

 

De la chanson engagée à la chanson à texte. Éclosion d’une scène val-de-marnaise

 

Les années 1970-1980 : embellir la ville par la chanson

Dans la droite lignée des années 1960, et imprégnée du souffle du printemps 1968, la chanson des années 1970-1980 affirme elle aussi ses engagements. Ainsi de Francesca Solleville qui, dans les années 1970, prête sa voix à un 33 tours collectif « pour les enfants du Chili ». Toujours au milieu de la décennie 1970, un autre chanteur à texte, et au répertoire résolument engagé, Renaud Séchan, fait écho dans son premier disque aux musiques traditionnelles de la région parisienne et, sur un air de « java sans joie », évoque la vie tragique d’un truand et de « ses copains de Saint-Mandé ».

Dix ans plus tard, en 1985, alors qu’une importante grève secoue l’entreprise SKF d’Ivry-sur-Seine, menacée de fermeture, le même Renaud vient chanter son soutien aux ouvriers grévistes.

Chanson engagée, certes, mais aussi chanson « à texte », au répertoire poétique et volontairement plus consensuel, puise aussi dans le département. C’est un autre Val-de-Marnais – à double titre, lui qui a fréquenté l’internat d’un lycée vitryote et a commencé la musique à la Maison des jeunes de Nogent-sur-Marne – qui va connaître un succès croissant dans les années 1970-1980 : Laurent Voulzy. Un artiste toujours lié au département, puisque son studio d’enregistrement se situe encore aujourd’hui à Joinville-le-Pont.

 

Ivry-sur-Seine : la culture et la chanson à l’honneur

Des années 1970 à nos jours, la municipalité ivryenne affirme son dynamisme dans le domaine culturel. La troupe d’Antoine Vitez y élit domicile, créant le théâtre qui porte aujourd’hui son nom. Mais d’autres lieux, non moins symboliques, émergent, qui vont devenir des cadres incontournables de récitals et de tours de chants, notamment pour les chanteurs « à texte », dont beaucoup sont encore à leurs débuts.

Citons le Belvédère, le Forum Léo Ferré situé non loin du périphérique, ou encore l’Annexe. Autant de lieux, nés dans les dernières décennies du siècle, qui voient plusieurs générations de chanteurs et chanteuses s’y succèdent, faisant leurs armes et rencontrant un public croissant. Citons, entre autres, Graeme Allwright, Alain Aurenche, Michèle Bernard, Jacques Bertin, mais aussi Agnès Bihl, Enzo Enzo, Jean Guidoni, et bien sûr Allain Leprest…

 

Des générations de chanteurs val-de-marnais

Allain Leprest symbolise sans aucun doute cette génération « relais », au sein du département, entre la chanson « Rive-Gauche » et celle de la nouvelle chanson française à texte.

Sur invitation du maire Pierre Gosnat, à qui Jean Ferrat avait vanté les mérites de ce jeune chanteur, Allain Leprest élit domicile à Ivry-sur-Seine en 1985. Il ne quittera plus la commune, où il est désormais enterré. En plus de vingt ans de résidence ivryenne, Allain Leprest aura donné de très nombreux concerts dans la commune, aura marqué de son empreinte et de sa présence Le Picardie, et aura célébré en chanson son « Petit Ivry ». D’autres artistes proches lui emboîtent le pas, de Gérard Pierron, visiteur habituel de la commune et chantre de Gaston Couté, à sa fille Fantine, qui a pris la relève avec talent.

Mais Ivry n’est pas, alors, la seule commune à donner toute sa place à cette nouvelle génération. Ainsi, c’est à Créteil qu’au début des années 1990, Christiane Bélert se lance dans une carrière artistique, tandis qu’à Bonneuil, Pierre Chêne écrit, compose et interprète son répertoire pour adultes et surtout pour enfants.

 

 

Les équipements socioculturels tremplins de la chanson

 

Les Maisons de jeunes et de la culture (MJC), les centres culturels créent des salles susceptibles de recevoir les premiers pas des groupes comme d'accueillir des artistes reconnus.

Ainsi à Créteil, la MJC du Mont-Mesly invite Pierre Chêne auteur-compositeur qui se spécialise dans la chanson pour les enfants. Les Vengeurs Masqués of Paris, groupe de « funk pédagogique », représentent l'Ile-de-France aux Découvertes du Printemps de Bourges en 1986.

Tandis qu'à la MJC-Club de Créteil un bar-musique voit le jour en 1985, où sont filmés les concerts du vendredi soir.

Radio Soleil 94 diffuse et popularise la création musicale val-de-marnaise.

 

À Villejuif, la MPT Gérard Philipe accueille des jeunes chanteurs puis dans son bar-musique la Caf'Fête , de nombreux groupes comme Caïna (1998), chanson rock-celtico-tzigane.

La Maison des arts et de la culture André Malraux s'ouvre elle aussi à l'international. En 1983, dans le cadre des musiques du monde, se produisent le marocain Nass El Ghiwane, le gabonais Pierre Akendengue qui chante contre l'apartheid ou encore Paco Ibanez, la voix de l'Espagne poétique et antifranquiste.

 

Le conseil général soutient de nombreuses initiatives comme Musiques jeunes 94 association fondée en 1983, organise de nombreux concerts dans les parcs départementaux, dans les cités avec la tournée Rock' n'Rap. Le rappeur MC Solaar chante les quartiers nord de Villeneuve-Saint-Georges.

Le chanteur compositeur Jean Ferrat est l'un des initiateurs, en 1987, du Festi'Val de Marne. La direction est assurée par Gérard Meys, producteur de Jean Ferrat, aidé de Jean-Claude Barens. Ce défenseur de la "chanson d'art et d'essai" en prend la tête de 1993. Le Festival de Marne programme en 2018 Eddy De Pretto, un jeune qui fait le lien entre la Chanson française et le Rap.